Notre
esprit possède une certaine clarté
de base qui permet aux différents
sens de percevoir leurs objets. Mais tant
quil nest pas libre de linfluence
des conditions extérieures, il
ne peut être parfaitement clair.
Puisque nous ne pouvons pas éviter
les événements extérieurs,
les situations quotidiennes, comment sortir
du piège ? Notre clarté
de base est parasitée par les situations
parce que nous nous y impliquons. Dès
quune situation se présente,
nous la fixons, créant ainsi des
habitudes mentales qui deviennent notre
façon habituelle de fonctionner,
ainsi que des voiles encore plus épais.
Le
manque de clarté dû à
nos habitudes mentales se révèle
dans les petits faits de la vie quotidienne.
Que quelquun boive le thé
différemment de nous, nous en sommes
troublés. Une incompréhension
jaillit. Lesprit est tellement habitué
à simpliquer dans toutes
les situations, même les plus insignifiantes,
quau moindre changement, il est
bouleversé. Il perd sa clarté
et, immédiatement, tout se complique.
Pour
lesprit, être clair signifie
voir la situation dans son ensemble sans
être dérangé, voir
les événements tels quils
sont en en comprenant les causes et le
caractère inéluctable. Cest,
en fait, notre interprétation des
situations, sous lemprise des tendances
et des habitudes, qui court-circuite la
clarté de lesprit.
Développement
progressif
Quand
lesprit est perturbé par
quelque chose de désagréable
ou dinhabituel, sil arrive
à voir lensemble de la situation
clairement - les causes et les circonstances
extérieures, ainsi que les habitudes
intérieures présentes à
ce moment là -, de lui-même,
il sapaise, se rééquilibre.
Essayer de comprendre la raison dêtre
des situations, les causes et les conditions
qui les engendrent, rend lesprit
plus libre, plus clair. Les émotions,
la confusion, les complications viennent
de circonstances - souvent de petites
choses - que nous laissons dans lombre.
Nous
avons tous la faculté de comprendre
les situations. Il nest pas hors
de nos capacités de percevoir ce
qui est clair et ce qui ne lest
pas. Nous pouvons nous rendre compte quil
est possible de percevoir les choses de
plus en plus clairement, à condition
toutefois de prendre du recul par rapport
aux situations dans lesquelles nous avons
lhabitude de nous impliquer et de
trop nous investir. Alors la clarté
se développe. Mais attention !
Il ne sagit pas de se dire : " Je
dois procéder ainsi, je dois développer
la clarté, je dois comprendre ce
qui marrive, je dois voir la situation
telle quelle est ". Cela
reviendrait à se laisser piéger
par une nouvelle situation, à suivre
une méthode dictée par nos
habitudes et nos tendances. La clarté
qui apparaîtrait ne serait pas la
vraie clarté. Vouloir la clarté
empêche la clarté. Douceur
et patience simposent. La clarté
est toujours présente dans lesprit.
Il ne sagit pas de la générer
mais de lui permettre de se révéler.
La
méditation
La
méditation est le moyen utilisé
pour clarifier lesprit. Selon les
traditions religieuses ou les écoles
de philosophie, ce terme revêt des
sens différents, et donc, mis en
pratique, donne des résultats différents.
Dans le dharma enseigné par le
Bouddha, toutes les méthodes de
méditation contribuent à
la connaissance de la nature éveillée
de lesprit et permettent à
sa clarté inhérente de se
révéler. Ces méthodes
sont nombreuses et proposent de multiples
supports. Mais quel que soit le support
utilisé, lidée essentielle
est quen méditation il ny
a rien à faire. On parle alors
de non-méditation, au sens où
il ny a pas de sujet qui médite,
pas dobjet sur lequel méditer.
Cest cette constatation qui permet
à la clarté de se révéler.
Tant que lesprit sinvestit
et simplique à lextérieur,
il est piégé et ne peut
reconnaître sa clarté. Cest
pour laider à la découvrir
quon utilise méthodes et
supports. Mais penser que puisquil
ny a ni sujet, ni objet, ni acte,
on peut se passer de méthode, cest
tomber dans une nouvelle forme de saisie.
Saisir lidée quil ny
a rien à faire.
Les
yogis du passé, qui méditaient
dans les ermitages, comparaient lesprit
au ciel sans limite qui se déployait
devant eux. Pour découvrir cet
espace sans limite quest notre esprit,
il ny a rien à créer,
il ny a pas à essayer de
changer quoi que ce soit. Il suffit de
regarder naturellement ce qui se passe
en lui au moment où cela a lieu.
Dans
la vie mondaine, nous agissons presque
toujours en vue dun profit. Aussi,
abordons-nous la méditation avec
la même attitude. Nous avons beaucoup
despoirs et dattentes de résultats.
Certes de nombreuses expériences
sélèvent au moment
où nous méditons, et il
ne saurait être question de les
rejeter ou de sy attacher, de les
évaluer. Mais notre attitude vis
à vis de ces expériences
doit sapparenter à celle
dun promeneur en forêt qui,
conscient de la grande variété
darbres, de feuilles, de couleurs
et de formes qui lentourent, ne
les catégorise ni ne les dénombre.
Dans la méditation, ce ne sont
pas les expériences qui importent
mais le développement de notre
faculté à les percevoir
globalement et très clairement,
sans faire de discrimination sujet objet.
Méditer
sans juger
Laissons
lesprit aussi vaste que possible,
sans le focaliser sur quoi que ce soit.
Asseyons-nous simplement et essayons de
garder lesprit clair. Cest
difficile mais essayons. Nous entendons,
nous voyons, sans saisir. Faisons de même
avec les autres sens : lodorat,
le goût, le toucher. Alors, une
clarté apparaît. Cest
une découverte. Généralement,
quand nous nous asseyons ainsi, nous ne
voyons que ce qui se trouve en face de
nous et sans grands détails. Si
nous avons lesprit tranquille, nous
pouvons tout voir clairement et avec précision.
Spontanément notre champ de vision
sélargit et la perception
devient plus ample, plus précise,
plus claire. Pourtant, presque aussitôt
nous nous remettons à commenter,
à juger. Les concepts sont de retour
et nous font perdre cette qualité
douverture et dacuité.
Il en va de même avec louïe
et toutes les sensations. Ce que nous
ressentons peut être bon ou mauvais,
peu importe ! En effet, les circonstances
sont instables et une sensation peut être
ressentie et perdue aussitôt. Limportant
est darriver à développer
une conscience très naturelle,
non-obstruée, à travers
les différents sens, et de se rendre
compte, pendant un laps de temps même
très court, que la clarté
est présente.
La
clarté de linstant
Lesprit
narrête pas de fonctionner
sous prétexte quon médite.
Les pensées continuent à
sélever. Si nous ne prenons
pas conscience de leur simple mouvement,
en sélevant et senchaînant
elles vont faire obstacle à notre
perception de la clarté. Cest
la distraction. La méditation est
alors interrompue. Par contre, quand lémergence
dune pensée est clairement
perçue, nous voyons que la pensée
ne dure pas très longtemps, quelle
se dissout et quune nouvelle pensée
apparaît immédiatement. Celle-ci
se dissout à son tour. Si nous
sommes conscients, nous voyons que cela
ne dure jamais. Il ne sagit pas
de compter ou de chercher les pensées.
Il sagit juste dêtre
conscient de leur mouvement. Méditer,
cest voir clairement le fonctionnement
de son esprit, sans intervenir.
Assis
au bord dun torrent, nous pouvons
suivre des yeux le courant qui séloigne,
ou bien fixer un point, où leau
arrive, passe et sen va sans cesse.
Le mouvement de leau est ininterrompu
et, à lendroit où
notre regard se porte, leau apparaît
et disparaît immédiatement.
Lesprit fonctionne de même
: les pensées émergent et
disparaissent continuellement. Méditer,
ce nest pas non plus se fixer sur
ce processus, cest être conscient
du fonctionnement de lesprit.
Procédant
ainsi, nous pourrons découvrir
en lesprit une grande clarté.
Cela nous conduira à réaliser
ce quest notre esprit. Mais si nous
avons des attentes, il sera difficile
dobtenir cette réalisation.
Par contre, si nous sommes simplement
conscients de la situation, de ce qui
est, avec lhabitude, spontanément,
la clarté de lesprit se révélera,
parce quelle est déjà
présente. Il est inutile de la
guetter et despérer pouvoir
la saisir.